EXTRAITS CHOISIS...

Publié le par SoPhie



                              « SIGMUND FREUD : L’INVENTION DE LA PSYCHANALYSE »

Film de E. KAPNIJT
Textes écrits par Elisabeth ROUDINESCO et E. KAPNIJT.

CHOIX d’extraits que j’ai retranscrits:


- Explorateur des profondeurs de l’inconscient et initiateur d’une des grandes aventures intellectuelles du XXè siècle, Freud voulut toute sa vie éclairer le côté nocturne de l’âme. Son divan fut un lieu d’investigation, un laboratoire où il reçu de ses malades son expérience et son savoir clinique. Il brisa les tabous liés à la sexualité et permit aux femmes de s’émanciper.

- A l’hospice de la Salpêtrière, ancien arsenal construit sous Louis XIV, les folles sont isolées dans le quartier spécial des incurables et enchaînées. Freud arrive à Paris un matin d’octobre 1885. Il vient en France pour découvrir sa véritable vocation. Le futur inventeur de la psychanalyse est un jeune médecin juif âgé de 29 ans (…) qui vient à Paris pour suivre les leçons de Charcot, le plus grand neurologue de l’époque. Connue depuis l’Antiquité, l’hystérie apparaît  aux yeux des savants de la fin du siècle comme une maladie de l’utérus. Pour comprendre la nature des convulsions, les médecins plongent les patientes dans un état de sommeil éveillé : l’hypnose (…) Charcot endort les femmes de la Salpêtrière et fait disparaître provisoirement paralysies et contractures. Il utilise l’hypnotisme pour démontrer que l’hystérie est une névrose fonctionnelle sans lien avec l’utérus (…) Fasciné par le théâtre de l’hystérie, Freud remarque que la relation entre le médecin et ses patientes ressemble à une histoire d’amour. Il est ébloui par les leçons de Charcot. A partir de Charcot, Freud invente un lien nouveau entre hystérie et sexualité. L’hystérie, telle est la maladie dont Freud s’empare à l’orée du siècle pour avertir les hommes de leurs blessures originelles. La psychanalyse est une manière particulière de raconter l’angoisse, l’oubli, le souvenir, le temps, le déchirement. A la Salpêtrière, le sexe des femmes parle à l’aide de convulsions. Aucune expérience de laboratoire ne saurait en venir à bout. Avec l’invention de la psychanalyse, les cris et les mouvements de la chair seront entendus, verbalisés, et deviendront un langage (…)

- A l’Institut de physiologie de Vienne, Freud fait la connaissance de Breuer, un médecin juif spécialiste des maladies nerveuses (…) Anna O, de son vrai nom Bertha Pappenheim, est une jeune fille de la bourgeoisie viennoise. Elle a vingt ans quand surviennent ses premiers troubles. Condamnées à devenir des épouses rigides à l’image de leur mère, des jeunes femmes de la bonne société viennoise aspirent secrètement à une autre vie. Mais personne ne les écoute. Incapables de faire face à leur destin, elles tombent malades. L’hystérie est le langage de ce désir échoué au seuil de la raison.

Elisabeth Roudinesco : « Ils décident de publier leur grand livre inaugural qui s’appelle Les Etudes sur l’hystérie, qui sont composées de plusieurs histoires de cas, dont celui d’Anna O. Ce n’est pas un livre mensonger, qui raconte qu’on guérit des hystériques alors qu’on ne les guérit pas. C’est un livre qui montre comment on les soigne et les résultats obtenus par ce qu’on appelait la méthode cathartique. C’était pas encore la psychanalyse, mais enfin c’était déjà la cure par la parole, çà c’est l’invention progressive de la psychanalyse, qu’au moins on fait quelque chose avec ces femmes, qu’au moins on les écoute. »

- Lorsque Freud ouvre son cabinet privé, il soigne surtout des femmes de la bourgeoisie viennoise atteintes de névroses, maladies des nerfs, neurasthénie, hystérie. C’est en 1889 qu’une patiente, Fanny Möser ordonne à Freud de s’écarter d’elle et de ne plus bouger « Ne me parlez pas, dit-elle. Ne me touchez pas, écoutez-moi. » « J’abandonnais donc l’hypnose et ne retins d’elle que la position couchée du patient sur un lit de repos derrière lequel j’étais assis, de sorte que je le voyais mais sans être vu de lui. »

E.R. : « Il invente le divan. Il se retire pour que ce soit la parole qui devienne l’acte thérapeutique elle-même. Il n’y a plus rien, plus de magnétisme, plus d’hypnose, plus de regard, il n’y a plus que la parole. C’est beaucoup plus intéressant que d’aller chercher dans l’Inconscient endormi. Et les patients prennent donc l’habitude de raconter leurs souvenirs d’enfance, leurs fantasmes. »
Passionné par ses découvertes, Freud laisse le sujet parler librement. En écoutant cette parole chaotique, il assigne à la sexualité une place fondamentale : elle détermine la vie psychique. « La névrose n’est pas une maladie insolite, mais la conséquence partagée de beaucoup de conflits infantiles non résolus. »

- Cette compréhension des névroses a lieu au moment où Freud rencontre un médecin berlinois, Fliess. Il devient son indispensable ami.

E.R. : « A travers toutes ces lettres, c’est l’époque où il élabore toutes ses théories : la bisexualité, la théorie de la séduction, sa première théorie de l’appareil psychique. » Ils échangent leurs idées, mais aussi leurs malades. A travers cette relation passionnelle, Freud tâtonne et adapte toutes sortes de théories extravagantes. C’est en se trompant, puis en rectifiant ses erreurs qu’il construit ses principales hypothèses.

E.R. : «  Quand il élabore sa théorie de la séduction, c’est-à-dire quand il pense qu’à l’origine de toute névrose il y a un traumatisme réel, ce qui veut dire que les enfants ont subi des traumatismes réels dans leur enfance, que fait Freud ? Il ne se contente pas d’être un homme de laboratoire qui va faire des recherches comme sur des grenouilles. Il se dit « mais çà a pu m’arriver à moi ». Donc Freud va être habité par une interrogation sur lui-même. Je crois que c’est çà la grande force de la psychanalyse et de Freud, c’est que au lieu de considérer le malade et le patient comme un objet à étudier de l’extérieur, il passe d’abord par une analyse de lui-même pour savoir si il n’a pas vécu lui-même la même chose. » « Et si on veut vraiment comprendre ce qu’il se passe dans l’Inconscient et ce qu’est le trouble psychique, l’hystérique est habitée par des réminiscences, des fantasmes, et c’est elle-même qui invente des séductions qui n’ont pas eu lieu. Donc on souffre de choses qui viennent de soi-même. Et là, la perspective est complètement changée, c’est-à-dire que là c’est la psychanalyse, et on sort complètement de toutes les théories de l’époque.  Le sujet va s’interroger sur lui-même, donc on n’a même plus besoin de l’endormir, on n’a pas besoin de découvrir un autre que lui qui l’habiterait, il est habité lui-même par cet autre. Et çà c’est la révolution freudienne. »

- Freud invente de nouveaux concepts. Il appelle libido, l’énergie sexuelle, et refoulement, le processus par lequel est rejeté dans l’Inconscient un événement que l’on cherche à oublier, à méconnaître, et dont on ne veut plus rien savoir. « Dans l’Inconscient, rien ne finit, rien ne passe, rien n’est oublié ». La mort de son père l’incite à se livrer à un intense travail de fouille dans son passé. C’est le début de son auto-analyse.
Curieux d’antiquités et de cultures lointaines, Freud collectionne les objets. Cette passion archéologique l’entraîne au cœur des anciennes civilisations et lui révèle que le destin de chaque homme est lié à celui de l’universalité humaine. Entouré de ses statuettes, ces multiples figurines romaines, chinoises, grecques, égyptiennes, il analyse les rêves de ses patients et les siens. Il les interprète comme on déchiffre une langue inconnue. L’Interprétation des rêves, dans ce livre magistral qui ouvre le XXè siècle, Freud voyage au-delà de la conscience et du sommeil. Loin d’être une prédiction magique, le rêve au sens freudien est l’accomplissement d’un désir inconscient ou refoulé. Dans les rêves, d’étranges personnages se mêlent souvent à un bestiaire à la fois fantastique et familier. Des chiens ressemblent à des loups, des chevaux à des licornes, des femmes prennent des allures de fleurs. Le rêve est ainsi « la voie royale vers l’Inconscient », vers la connaissance d’un au-delà de la conscience, intérieur au sujet lui-même. De l’autre côté du visible, Freud trace les figures infinies de l’Inconscient avec des mots qui dévoilent les mystères communs à tous les hommes. Rêves, actes manqués, lapsus, oublis, tout a une signification. « Qui parle en moi ? », telle est la question posée par Freud à l’orée du siècle.

- En 1905, Freud publie ses Trois essais sur la théorie sexuelle. Le livre fait scandale parce que Freud attribue aux enfants et aux adultes dits normaux des fantasmes sexuels ou des comportements jugés pathologiques (masturbation, sodomie, fétichisme, désir d’inceste). Il élabore son plus fameux complexe en s’inspirant de la tragédie de Sophocle, dans laquelle le roi de Thèbes, Œdipe, marqué par la malédiction des dieux, tue son père et épouse sa mère sans le savoir. A partir de cette histoire, Freud donne le nom de « Complexe d’Œdipe » à une représentation inconsciente où s’exprime le désir de l’enfant pour le parent du sexe opposé et son hostilité pour le parent du même sexe. Ce complexe apparaît entre 3 et 5 ans. Selon Freud, les enfants traversent cette situation pour ensuite la surmonter.

E.R. : « Freud reprend les termes qui existaient avant lui : sexualité, inconscient, transfert psycho-dynamique, mais il leur donne un sens tout à fait nouveau en accentuant, et c’est pour cela qu’il y a une forte opposition à la psychanalyse, en accentuant l’idée que l’homme, le sujet, était déterminé par des forces qui lui échappent. C’était quelque chose de tout à fait insupportable parce que c’était une perte de la maîtrise, qui existe beaucoup dans les autres psychothérapies. Ce qu’on peut dire, en même temps, c’est que si il a été capable de faire ce travail, c’est-à-dire de mettre à jour ces forces inconscientes, c’est parce que la philosophie occidentale était arrivée à un point de réflexion sur le sujet conscient et sur la conscience très poussé. Il est probable que la psychanalyse n’aurait pas pu naître avant qu(il y ait eu une philosophie de la conscience, parce que pour se rendre compte qu’on a un Inconscient, il faut encore en être conscient. »

- 1907 est une année importante, elle marque la rencontre entre Freud et Jung, un an après le début de leur échange de lettres. Cinquante ans après, Jung se souvient : « Je lui ai juste rendu visite à Vienne, et nous avons parlé pendant treize heures sans interruption. Sans s’apercevoir que nous étions presque morts ! Mais c’était formidablement intéressant. »
Située près de Zurich, la clinique psychiatrique du Burghölzli est à la pointe de la recherche dans le traitement de la folie. C’est là que Jung fit ses années d’apprentissage.

E.R. : « Pour Freud, c’est la terre promise parce qu’il apprend par Jung, qui est donc l’assistant de Bleuler dans cette clinique, qu’on est en train d’expérimenter la méthode des associations libres. On fait parler les malades, les patients psychotiques, par des associations qu’on dit automatiques, et on découvre un univers de langage, on essaie de donner un sens à cette folie particulière que Bleuer va appeler en 1906 la schizophrénie. Une forme de folie qui intervient sur des sujets très jeunes, qui tombent dans un état de repli sur eux-mêmes, de délires, d’hallucinations, de violences pulsionnelles, donc des grands fous. Et ce grand médecin qu’est Bleuer se passionne pour les méthodes freudiennes, parce que çà ouvre de nouveaux horizons : comprendre l’univers mental du malade. » Jung restera neuf ans dans cette clinique. Pendant sept ans il s’enthousiasme pour l’aspect spirituel de l’aventure psychanalytique. En 1913 il s’en écartera. En fait, il n’a jamais adhéré à la doctrine de Freud. Il s’intéresse aux archétypes, c’est-à-dire à des représentations symboliques du subconscient. Elles constituent à ses yeux un inconscient collectif.

- Au cœur de l’empire austro-hongrois, Budapest est la deuxième ville de l’histoire à s’ouvrir au freudisme. Le milieu littéraire et artistique manifeste un intérêt immédiat pour les phénomènes de l’Inconscient. Un psychiatre, Ferenczi, rencontre Freud en 1907. Il deviendra le plus grand psychanalyste du mouvement freudien.

- Toute sa vie, « l’homme aux loups » sera pris en charge par le mouvement psychanalytique et soigné par les héritiers du maître. Il ne sera pas guéri, mais transformé par sa longue expérience de la psychanalyse. E.R : « L’idée d’incurabilité et de curabilité habite tout le domaine de la psychiatrie et des maladies psychiques, beaucoup plus que la médecine, parce que c’est vrai qu’en médecine on arrive à des guérisons des maladies. On arrive à guérir des maladies en médecine, mais dès qu’on a guéri une maladie, il y en a une nouvelle qui ressurgit. Evidemment, c’est pas la même, on n’a plus la syphilis, mais on a le sida. Quand on n’aura plus le sida, il y aura autre chose. C’est-à-dire que la maladie, comme l’a démontré Bichat, c’est comme la mort, çà fait partie du corps biologique. Il y aura toujours des maladies, et il y aura toujours une médecine pour essayer de les soigner. La psychanalyse, c’est la même chose. Qu’est-ce qu’elle a fait ? Elle a guéri l’hystérie des années 1880, mais alors que s’est-il passé ? Les gens, au lieu d’être hystériques sont devenus dépressifs, c’est-à-dire les symptômes changent, les maladies changent au fur et à mesure qu’on invente les techniques pour les guérir, mais on ne vient jamais à bout de rien. C’est valable en médecine, et c’est valable en analyse. »

- 1910, c’est l’année où Freud fonde l’Association psychanalytique internationale, et demande à Jung d’en assumer la direction. Le Congrès de Weimar de 1911 réunit tous les ténors du mouvement psychanalytique international. Jung en est le Président malgré les désaccords de plus en plus manifestes. Deux ans plus tard, se sera la rupture avec Freud.
Un autre homme entre alors en scène, qui comptera dans l’extension du mouvement : Ernest Jones, un médecin anglais. « Ce qui me frappait le plus, c’est qu’il semblait écouter ses patients. Je ne connaissais personne qui écoutait ses patients. D’ordinaire, les médecins les examinaient, mais n’écoutaient pas ce qu’ils avaient à dire. Et là, il y avait cet homme qui les écoutait patiemment. » Jones participe à la traduction anglaise de l’œuvre de Freud. En 1914, il fonde l’Association américaine de psychanalyse, et en 1919 la Société britannique de psychanalyse.
C’est autour de Virginia Woolf et de son mari que se crée le groupe Bloomsbury. James Strachey et sa femme Alix se rendent à Vienne pour se faire analyser par Freud. Ils deviennent des praticiens et consacreront leur vie à traduire l’œuvre complète de Freud. Jones sera le grand organisateur du mouvement, l’homme politique du freudisme, le gardien de la doctrine, et plus tard, face aux Etats-Unis, celui qui assurera à l’école anglaise une place prééminente.

- A ce Congrès, Freud rencontre pour la première fois Lou Andréas-Salomé, écrivain de langue allemande. E.R. : « Elle est à la recherche de la modernité, et de « qu’est-ce que c’est que l’être humain quand Dieu est en train de mourir et qu’on est replié sur la figure de soi-même ? » Et c’est dans sa vie qu’elle veut réaliser les grandes passions, et Lou va vers ce qu’il y a de plus intéressant sur le plan intellectuel. Elle rencontre Nietzsche quand elle est toute jeune, et Nietzsche tombe éperdument amoureux d’elle, et bien sûr elle ne devient pas sa maîtresse, c’est pas du tout çà qui l’intéresse. Et elle décide pendant un certain temps de vivre avec les hommes dans des amitiés platoniques, de façon à recréer elle aussi une sorte de banquet platonicien des idées. Et quand elle arrive à Vienne, c’est avec la ferme intention de s’initier à la psychanalyse, elle a trouvé dans la psychanalyse ce qu’elle cherchait. Elle devient psychanalyste et elle cesse d’écrire des romans. »

- Première guerre mondiale. Lettre à Lou Andréas-Salomé : « L’humanité, je n’en doute pas, se remettra même de cette guerre. Mais je suis certain que ni moi, ni mes contemporains, nous ne retrouverons un monde heureux. Tout est horrible, et ce qu’il y a de plus triste, c’est que tout arrive comme la psychanalyse aurait pu le prévoir d’après sa connaissance de l’homme et de son comportement. »

 


 


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