GLISSEMENT SEMANTIQUE POLEMIQUE? De la "laïcité ouverte" à la "laïcité positive"?

Publié le par SoPhie


"La mise en cause de la laïcité prend aujourd'hui des formes insidieuses, qui présentent le paradoxe de prétendre la respecter... tout en la redéfinissant. Or ces redéfinitions ressemblent le plus souvent à une contestation radicale qui n'avoue pas son nom. Qu'on en juge.
Première invention polémique: la notion de "laïcité ouverte", qui suggère que la laïcité "tout court" serait "fermée". Que peut donc vouloir dire une telle insinuation? S'agit-il de rouvrir la sphère publique à des emprises officielles des puissances religieuses? Mais dans ce cas, la religion cesserait d'être une affaire privée, relevant de la liberté de conscience de chacun, et le régime de droit public qui lui serait restitué bafouerait le principe d'égalité éthique des citoyens. L'esprit d'ouverture est une qualité. Mais il ne prend sens que par opposition à un défaut: la fermeture. C'est pourquoi on n'éprouve la nécessité d'ouvrir que ce qui exclut, enferme, et assujettit. Et on le fait au nom d'idéaux qui, quant à eux, formulent tout haut des exigences de justice. Les droits de l'homme, par exemple, proclament la liberté et l'égalité pour tous les êtres sans discrimination d'origine, de sexe, de religion ou de conviction spirituelle. Viendrait-il à l'idée de dire que les "droits de l'homme" doivent s'ouvrir? (...)
La laïcité, rappelons-le, c'est l'affirmation simultanée de trois valeurs qui sont aussi des principes d'organisation politique: la liberté de conscience fondée sur l'autonomie de la personne et de sa sphère privée, la pleine égalité des athées, des agnostiques et des divers croyants, et le souci d'universalité de la sphère publique, la loi commune ne devant promouvoir que ce qui est d'intérêt commun à tous. Ainsi comprise, la laïcité n'a pas à s'ouvrir ou se fermer. Elle doit vivre, tout simplement, sans aucun empiétement sur les principes qui font d'elle un idéal de concorde, ouvert à tous sans discrimination. La notion de laïcité ouverte est maniée par ceux qui en réalité contestent la vraie laïcité, mais n'osent pas s'opposer franchement aux valeurs qui la définissent. Que pourrait signifier ouvrir la laïcité, sinon mettre en cause un de ses trois principes constitutifs, voire les trois en même temps? Qu'on en juge. (...)
Notion désobligeante pour la vraie laïcité, la notion de "laïcité ouverte" est en réalité utilisée pour contester la reconduction de la religion à la sphère privée, et à l'universalité ainsi conquise pour la sphère publique. Pourtant, c'est ainsi que cette sphère publique peut mériter enfin son beau nom de république, res publica: bien commun à tous. (...)
Une telle laïcité n'est ni "dure" ni "molle": elle correspond à l'affranchissement de la sphère publique par rapport à toute tutelle religieuse; entre un tel affranchissement et une réattribution d'emprises publiques à la religion, il n'y a pas de troisième voie. L'alternative est donc bien: affirmation ou négation de la laïcité.
Dire qu'un tel propos relève de la "laïcité de combat", c'est renverser les rôles: la nouvelle figure de l'hostilité à la laïcité consiste en effet à en exiger une redéfinition qui serait une dénaturation. C'est plutôt une telle exigence qui atteste une posture de combat, puisqu'elle vise en fait une remise en cause."

                                                                            Henri PENA-RUIZ

Publié dans Philo

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